« Je compte bien faire respecter la loi une bonne fois pour toutes ». Cette promesse du ministre en charge du Numérique, Jean-Noël Barrot, dans les colonnes du Parisien a pris un peu tout le monde de court. Trois ans après la loi du 30 juillet 2020, qui contraint les sites pornographiques à mettre en place un contrôle de l’âge de leurs visiteurs, les injonctions de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) à plusieurs plateformes comme Pornhub, Tukif, Xhamster, Xvideos, ou Xnxx, ne sont toujours pas suivies des faits (lire notre article ici et ici).
« Tant mieux si le gouvernement prend aujourd’hui la mesure du problème »
Alors que l’audience mensuelle en visiteurs uniques de Pornhub en France s’élevait, en 2021, à 7,6 millions de majeurs et 1,6 million de mineurs, le gouvernement a donc décidé de passer à la vitesse supérieure. La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) et l’Arcom présenteront cette semaine un dispositif qui obligera les sites pornos à contrôler « réellement » l’âge de leurs utilisateurs, dès septembre prochain. « Ils devront s’y conformer sous peine de voir la diffusion interdite sur le territoire national. En 2023, c’est la fin de l’accès aux sites pornographiques pour nos enfants ! », martèle le ministre dans les colonnes du quotidien avant de préciser que « la France sera le premier pays du monde à proposer une solution comme celle-là ».L’annonce est saluée du côté de la délégation du droit des femmes du Sénat dont plusieurs de ses membres ont remis un rapport sur les dérives de l’industrie pornographique en septembre dernier.Pour mémoire,
parmi les 23 recommandations du rapport, la n°15 préconisait « d’imposer le développement de dispositifs de vérification d’âge ayant vocation à servir d’intermédiaire entre l’internaute et les sites consultés, avec un système de double anonymat comme proposé par le PEReN, (Pôle d’Expertise de la Régulation Numérique) et la CNIL.
« Si le gouvernement a besoin d’une loi supplémentaire, nous serons là pour ça »
« Depuis notre rapport, nous n’avons pas cessé d’aller présenter nos travaux aux ministres concernés, Jean-Noël Barrot (secrétaire d’Etat à l’Enfance), Pap Ndiaye (ministre de l’Education nationale), tant mieux si le gouvernement prend aujourd’hui la mesure du problème », se félicite Annick Billon, présidente de la délégation et co-rapporteure de la mission.« Oui, si le gouvernement a décidé d’appliquer la loi de 2020, c’est une excellente chose. Il est question ici de technologie, de sanctions et de moyens pour les faire appliquer. Si le gouvernement a besoin d’une loi supplémentaire, d’un complément législatif pour rendre opérant son dispositif, nous serons là pour ça », encourage la sénatrice socialiste, Laurence Rossignol également
co-rapporteure de la mission.En quoi consiste ce dispositif ?
Publicsenat.fr a contacté Olivier Blazy, l’un des chercheurs à l’origine de ce dispositif de « double anonymat ». Au téléphone, ce professeur à l’École polytechnique se montre tout d’abord un peu circonspect par l’annonce du ministre. « Les personnes avec qui je travaille à la CNIL ont été un peu surprises par l’échéance de septembre. J’imagine que c’est pour impulser le mouvement au niveau européen. Mais une réunion de concertation avec l’exécutif me semblerait utile », commente-t-il sobrement.Il existe plusieurs solutions pour vérifier l’âge d’un utilisateur. En octobre dernier,
Charlotte Caubel avait proposé d’avoir recours aux cartes bancaires comme filtre pour accéder à un site porno. Une autre possibilité est d’avoir recours aux données biométriques, comme la reconnaissance faciale. « Ce dispositif a de gros biais algorithmiques et peut s’avérer discriminant », balaye Olivier Blazy.Le dispositif sur lequel travaillent la Cnil et le PEReN consiste à faire appel à un « tiers de confiance ». « Quand vous voulez aller sur un site qui requiert une limite d’âge, celui-ci vous envoie un numéro à usage unique. L’utilisateur renvoie ensuite ce numéro à un prestataire identifié, comme par exemple sa banque ou son opérateur télécoms, qui ont l’avantage d’être certifiés par l’ANSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information). Le prestataire identifié confirme l’âge de l’utilisateur mais sans savoir sur quel site il veut aller. C’est le double anonymat », résume Olivier Blazy qui précise que ce système peut fonctionner sur le navigateur ou par une appli. « L’objectif, c’est de ne pas exclure les gens qui n’ont pas de smartphone ».Toutefois, ce dispositif ne pourrait rien contre l’utilisation d’un VPN qui permet de dissimuler sa connexion depuis un pays étranger et pose des questions sur sa conformité avec « le règlement général sur la protection des données (RGPD).Thomas Rohmer, directeur fondateur de l’Open (l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique) accueille les annonces du gouvernement avec prudence. « On ne peut que soutenir cette initiative, mais il faut être lucide. Un tel dispositif ne pourrait être déployé qu’au niveau européen. Je ne vois pas comment on pourrait faire sans ».
« Un festival de mauvaises idées au service d’une cause légitime »
Dans le Parisien, le ministre se montre optimiste sur la validation par la Commission européenne du projet de décret qui mettra en place ce contrôle d’âge.De quoi interpeller, Alexandre Archambault, avocat spécialisé dans le droit du numérique. « C’est un festival de mauvaises idées au service d’une cause légitime », tance-t-il. « La maquette du PEReN, ça marche très bien en laboratoire mais là, on parle d’opérateurs télécoms qui ont des millions d’abonnés et je rappelle que le RGPD interdit de traiter des données qui ne sont pas pertinentes comme les dates de naissance des titulaires des contrats. Et qu’est-ce qui se passera si Orange par exemple, fusionne avec un autre opérateur et que sa base de données n’est plus en France ? C’est une belle déclaration d’intention, mais qui est complètement déconnectée de la réalité des réseaux d’exploitation. Il y a un problème de méthode. On ne peut pas trouver une solution nationale comme si on était encore au temps du minitel. Il y a un grand flou sur les modalités techniques et avant de faire des annonces, il faudrait mieux se mettre autour de la table avec Google, Apple, les grands hébergeurs de contenus et les opérateurs. Ce n’est pas pour rien si aucun pays jusqu’à présent n’est parvenu à mettre en place un système de contrôle d’âge opérant », ajoute-il.Dans quelques semaines, le Sénat débattra d’une proposition de résolution appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique, on en saura peut-être un peu plus sur la feuille de route du gouvernement.